Déconfinement : Ce 19 mai marque-t-il la « liberté retrouvée » uniquement des classes aisées ?
C’est noté sur de nombreux agendas, ce mercredi 19 mai débute la seconde étape (après celle du 3 mai) du déconfinement. « Un petit moment de liberté retrouvée » comme l’a dit Emmanuel Macron, unanimement attendu, pour enfin retrouver les terrasses, les cinémas, les musées et autres joyaux de la vie sociale. Unanimement, vraiment ? Ces petits plaisirs ont pourtant un coût que certains Français ne peuvent pas se permettre. En 2019, avant le coronavirus, une étude de Statista montrait par exemple que 20 % des Français allaient une fois par an ou moins au restaurant et 29 % moins de deux fois par an au cinéma. Alors, ce déconfinement est-il uniquement celui des classes aisées, celles à même de payer trois euros leur café en terrasse ?
« Le déconfinement comme le confinement ne font que révéler les inégalités sociales », ne s’étonne pas Emmanuelle Lallement, anthropologue de la ville et des espaces publics. Pour les personnes qui ne pouvaient pas télétravailler, et qui n’ont pas l’habitude de manger ou boire dehors, les restrictions liées au coronavirus n’ont pas été vécues de la même façon que pour les autres. Et maintenant que le pays se déconfine, tout le monde n’a pas les moyens d’en « profiter » pleinement.
Le déconfinement comme marqueur social
Avec le coronavirus, « un tiers des Français ont vu leurs revenus ou leur activité diminuer et envisagent des mois de restrictions en termes de dépenses, tandis que d’autres ont massivement épargné », rappelle Vincent Chabault, sociologue de la consommation et auteur du livre Eloge du magasin (Ed. Gallimard). Il confirme qu’il existe en France une vision très métropolitaine et centrée sur les classes supérieures du déconfinement.
Néanmoins, si tous les Français n’ont pas de quoi consommer dehors tous les jours, les classes populaires peuvent aussi bénéficier de ce 19 mai. Premièrement, ce sont aussi leurs métiers qui se déconfinent. Vincent Chabault développe : « Les serveurs, les gardiens de musée, les vendeurs au cinéma… sont autant de professions des classes précaires victimes de ces confinements. » De quoi regagner un salaire, mais également retrouver une vie sociale : « Que ce soit les collègues de travail ou les clients, c’est l’occasion de revoir du monde et de sortir de chez soi », avance le sociologue.
Deuxièmement, « tout le monde bénéficie d’une ville plus animée. Cela donne plus de gens dehors – donc plus de clients pour l’ensemble des professions, plus d’interactions et de vie, qu’on consomme ou non », poursuit Vincent Chabault. Enfin, dernier point pour lui, toutes les activités possibles de ce déconfinement ne sont pas payantes. Evidemment, le couvre-feu prolongé à 21 heures, mais également certains musées, les bibliothèques, médiathèques, etc… « Bien sûr, il reste des barrières symboliques », nuance-t-il. Ne faudrait-il pas des mesures plus « gratuites » pour ce déconfinement, comme l’arrêt du port du masque en extérieur par exemple ? Pas nécessairement. « Le plus important, surtout pour les personnes précaires, c’est la reprise économique », pointe Vincent Chabault. Pas certain donc qu’elles boudent ce retour premier à la consommation.
Le retour de la mixité sociale
Ne nous y trompons pas, ce n’est pas parce que les classes populaires vont moins en terrasses que ces dernières ne leur ont pas manquées. A la nostalgie du quotidien du monde d’avant qui a pu toucher les classes aisées, les moins fortunés ont pu, eux, ressentir la privation de l’espace public. Emmanuelle Lallement développe : « Les personnes des classes aisées pouvaient s’accueillir chez les uns ou les autres. Mais lorsqu’on a un logement précaire, ou pas assez de place, on n’a pas nécessairement l’envie ni la capacité d’accueillir des invités. L’espace public a d’autant plus manqué aux classes défavorisées qu’il est nécessaire pour elles. »
Retrouver les terrasses ou les médiathèques, c’est retrouver un endroit de partage et d’échange, voire de mélange (dans le respect des gestes barrières). Car c’est bien aussi cela la vertu de l’espace public, et la raison pour laquelle les terrasses nous ont tant manqué : elles sont des endroits de mixité sociale, ce qui est moins le cas des espaces domestiques ou privés. Vincent Chabault poursuit : « Les espaces de consommation qui rouvrent ne sont pas que des espaces économiques, mais aussi des endroits de convivialité, de mixité et de partage. »
Or, le sentiment de solitude pendant la crise sanitaire concerne plus les personnes précaires selon une enquête Ifop de janvier 2021. 29 % des Français avec peu de revenus se sont sentis toujours ou souvent seul pendant cette période, tout comme 24 % des Français de catégorie modeste, contre seulement 14 % de la classe moyenne supérieure et 10 % des Français aisés. Un sentiment de solitude et une crise sociale qui pourront peut-être un peu se dissiper pour tout le monde avec ce déconfinement.
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