Lutte contre le sida : appel mondial contre la criminalisation et la discrimination liées aux drogues
A l’occasion de la dix-huitième conférence internationale sur le sida qui se tient actuellement à Vienne, de nombreux scientifiques et organisations internationales lancent un appel à la reconnaissance des limites et préjudices liés à la prohibition des drogues, relayé par la revue The Lancet. Les auteurs réclament une réforme des politiques en matière de drogues et invitent les scientifiques, les professionnels de la santé et le public à appuyer cet appel.
La prohibition des drogues date du début du 20ème siècle. Elle a été initiée par les Américains, pour lutter contre l’expansion de la consommation d’opium, de chanvre, puis d’alcool, même si pour cette dernière substance la prohibition a été levée.
Prohibition = hausse de la consommation ? Malgré l’instauration de ces prohibitions (opium et ses dérivés, dont l’héroïne, cocaïne et ses dérivés, cannabis, etc.), la consommation n’a pas baissé, comme le soulignent les auteurs de la déclaration de Vienne : “il existe maintenant des preuves irréfutables que les efforts d’application de la loi n’ont pas réussi à enrayer la disponibilité des drogues illégales dans les collectivités où il y a de la demande“. Pire, malgré la “férocité accrue des démarches d’application de la loi“, la consommation a plutôt tendance à augmenter, y compris de drogues injectables, qui causent “environ le tiers des nouveaux cas d’
infection par le VIH“ en dehors de l’Afrique subsaharienne, comme l’ont constaté les auteurs.
Un frein à l’accès aux soins Parmi ces derniers, Daniel Wolfe (Open Society Institute, New York), Patrizia Carrieri (Inserm, marseille) et Donald Shepard (Brandeis University, USA) ont en effet cherché à évaluer, en analysant de nombreuses études pour The Lancet, les freins à une meilleure prise en charge du sida. Ils ont ainsi constaté que dans 5 pays (Chine, Vietnam, Russie, Ukraine et Malaysie), 67 % des personnes séropositives sont utilisatrices de drogues injectables. Or seulement un quart d’entre elles bénéficient d’une trithérapie ! Ils expliquent cette absence fréquente de traitement par la politique sécuritaire menée à l’encontre des usagers, qui sont enfermés dans des centres ne permettant pas les soins, ni la mise en place de traitements de substitution. La criminalisation de l’usage de drogues n’a donc aucun effet sur la propagation de ces dernières, mais de plus entrave les soins, en particulier dans les pays où aucune politique de réduction des risques n’est mise en oeuvre.
Des droits bafoués, des milliards partis en fumée… La Déclaration de Vienne insiste également sur d’autres conséquences néfastes de cette criminalisation : flambée de VIH chez les usagers de drogues emprisonnés, taux d’incarcération records liés à l’usage de drogues, en particulier aux Etats-Unis, stigmatisation des usagers de drogues illicites, violation des droits à la personne (le fait d’être inscrit sur les fichiers de police pour usage de drogue empêche dans certains pays de rechercher un travail, d’avoir un permis de conduire, voire de conserver la garde de ses enfants). L’aberration économique de cette criminalisation est également pointée, avec le “gaspillage de milliards de dollars des contribuables sur une «guerre contre la drogue» qui n’atteint pas ses objectifs déclarés et contribue plutôt directement ou indirectement aux préjudices décrits ci-dessus“, et l’entretien d’“un énorme marché des drogues illicites d’une valeur annuelle estimée à 320 milliards de dollars américains“, qui alimente la criminalité, la violence et la corruption, avec des profits totalement en dehors du contrôles des Etats. Décriminaliser l’usage de drogue et améliorer les stratégies de prévention et de soin Une nouvelle approche basée sur les données de la science permettrait de protéger et renforcer les droits humains et “pourrait éventuellement réduire les préjudices causés par les politiques actuelles“, tout en redirigeant les milliards dépensés en pure perte vers ceux qui en ont besoin.
Par exemple, dans les pays ne bénéficiant pas d’une politique de réduction des risques, des programmes d’accès aux antirétroviraux ciblés auprès des usagers de drogues intraveineuse permettrait de prévenir 40 000 contaminations dans une ville comme Saint-Pétersbourg, en Russie, selon une étude de modélisation.
Mais pour le Pr. Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (AnRS), “parvenir à de tels résultats suppose une véritable volonté politique, ainsi que des évolutions notables des mentalités et des modalités de prise en charge proposées aux usagers de drogues“.
C’est pourquoi les auteurs de la Déclaration de Vienne lancent un appel aux Nations Unies pour “mettre en place des mesures d’urgence visant à faire en sorte que les Nations Unies -y compris l’Organe international de contrôle des stupéfiants- s’expriment d’une seule voix pour appuyer la décriminalisation des utilisateurs de drogues et l’adoption de stratégies de lutte antidrogue basées sur des données probantes“.
Cet appel sera-t-il entendu dans le monde, y compris en France, dont la législation envers les utilisateurs de substances illicites compte parmi les plus dures d’Europe ? Repenser enfin la loi de prohibition de 1970 pourrait peut-être permettre de renforcer les effets positifs de notre politique de réduction des risques, qui a déjà permis certains progrès (traitements de substitution aux opiacés, programmes d’échanges de seringues,
expérimentation prochaine de salles de shoot).
Déclaration de Vienne
Jean-Philippe Rivière
Sources :
– La déclaration de Vienne, juillet 2010,
accessible en ligne (pour signer la déclaration,
cliquez ici)
– “Treatment and care for injecting drug users with HIV infection: a review of barriers and ways forward“, Wolfe D et coll., The Lancet, 20 juillet 2010, résumé
accessible en ligne.
Le numéro spécial du Lancet “HIV people who use drugs“ (accessible sur abonnement)
– “Usagers de drogue : il faut combattre la criminalisation et la discrimination“, AnRS, 20 juillet 2010
Photos :
– Présentation à la presse de 11 personnes soupçonnées d’appartenir à un cartel de la drogue au Mexique, juin 2010, © Carlos Jasso/AP/SIPA
– Manifestant brandissant une pancarte contre la stigmatisation des personnes séropositives lors d’une manifestation en marge de la conférence de Vienne, 20 juillet 2010, © Ronald Zak/AP/SIPAClick Here: Golf special